Fille d'ouvriers
- Paroles : Jules JOUY, 1898
- Musique : Gustave GOUBLIER
- Arrangement : Rencontres chorales 2009
- Voici l'un des rares chants dénonçant la condition des femmes du milieu ouvrier au XIXème, femmes dont toute la vie est semée de malheurs, de guigne (« chair à guignon »). Le patron qui exploite à l'usine cette "chair à travail" est comparé au tyran Héliogabale, empereur romain qui finit assassiné par sa garde prétorienne. Jules Jouy, ancien ouvrier, est l’un des plus prolixes paroliers du Chat Noir, le cabaret qu’il a fondé.
Pâle ou vermeille, brune ou blonde,
Bébé mignon,
Dans les larmes ça vient au monde,
Chair à guignon.
Ébouriffé, suçant son pouce,
Jamais lavé,
Comme un vrai champignon, ça pousse
Chair à pavé
A quinze ans, ça rentre à l'usine,
Sans éventail,
Du matin au soir, ça turbine,
Chair à travail.
Fleur des fortifs, ça s'étiole,
Quand c'est girond,
Dans un guet-apens, ça se viole,
Chair à patrons.
Jusque dans la moelle pourrie,
Rien sous la dent,
Alors, ça rentre en brasserie,
Chair à clients.
Ça tombe encore : de chute en chute,
Honteuse, un soir,
Pour deux francs, ça fait la culbute,
Chair à trottoir.
Ça vieillit, et plus bas ça glisse.
Un beau matin,
Ça va s'inscrire à la police,
Chair à roussins ;
Ou bien, sans carte ça travaille
Dans sa maison ;
Alors, ça se fout sur la paille,
Chair à prison.
D'un mal lent souffrant le supplice,
Vieux et tremblant,
Ça va geindre dans un hospice,
Chair à savants.
Enfin, ayant vidé la coupe,
Bu tout le fiel,
Quand c'est crevé, ça se découpe.
Chair à scalpel.
Patrons ! Tas d'Héliogabales,
D'effroi saisis
Quand vous tomberez sous nos balles,
Chair à fusils,
Pour que chaque chien sur vos trognes
Pisse, à l'écart
Nous leur laisserons vos charognes,
Chair à Macquart !